Sculpture et pouvoir à la cour assyrienne

L’une des manifestations artistiques néo-assyriennes les plus emblématiques est la sculpture des palais royaux. Ou l’art au coeur de la cour. Au Ier mill. av. J.-C., les rois assyriens font arriver des lourdes dalles de calcaires dans leurs capitales, les mettent contre les murs des palais et les font décorer. D’où vient cette idée nouvelle et quel sont les sujets représentés?

Restitution de l’intérieur d’un palais assyrien avec peinture (partie haute des murs), sculpture et reliefs couverts de peinture (partie basse des murs)

L’origine est encore discutée: origine mésopotamienne ou syro-anatolienne. Si en effet les plus anciens bas-reliefs conservés ont été retrouvés dans les petits royaumes néo-syriens (Xe siècle)¹
et même à Bogazköy vers le XIVe-XIIIe siècle av. J.-C., l’idée de décorer les murs du palais n’est pas nouvelle puisque  la sculpture aux entrées des bâtiments officiels et la peinture murale sont attestées tout au long de l’histoire mésopotamienne². D’ailleurs, la présence de peinture sur les bas-reliefs néo-assyriens montre que les deux techniques n’étaient pas considérées comme très distinctes.

Relief de guerre contre les Arabes, Ninive, reliefs d’Assurbanipal

Bateau phénicien représenté dans un bas-relief néo-assyrien, Ninive, Palais de Sennachérib.

Quels sont les sujets représentés?
D’une manière assez générale, on peut regrouper les sujets en deux catégories: les sujets historiques et les sujets atemporels. Les premiers concernent la représentation de batailles, sièges, déportations, défilés de dignitaires ou de serviteurs préparant le banquet.
Ces reliefs sont une représentation narrative: les actions, souvent multiples, sont au centre de la scène, qui est reconnaissable au niveau spatial (détails du paysage) et par les personnages représentés (individuellement et collectivement). Les personnages reconnaissables individuellement sont le roi, le prince héritier, les hauts fonctionnaires. Les personnages reconnaissables collectivement sont les soldats ennemis versus les soldats assyriens. Les paysages représentés sont variés selon que la scène se passe pendant une fête, une chasse, une guerre…
Il est difficile de dire si le paysage a suscité un réel intérêt par lui même: le plus =souvent il semble utilisé de manière assez pragmatique pour situer l’action- ou plutôt les actions- qui sont le vrai centre de la représentation. D’ailleurs, dans les reliefs narratifs, la dalle présente des personnages humaines multiples et de taille très réduite (30cm-60cm) par rapport aux reliefs atemporels.
Ces derniers, connus aussi sous la définition impropre de “mythologiques”, sont des représentations de figures apothropaïques isolées ou accompagnant soit l’arbre de vie soit le roi. Elles n’ont pas de paysage, le fond du relief est complétement vide, justement puisque ce qui est représenté est en dehors du temps humain et en dehors de l’histoire.

Taureaux ailés à visage humain et lion centauri dans le palais d’Assurnasirpal II à Nimrud

Ces personnages sont en nombre très limité, partout les mêmes. Ils sont représentés sans mouvement, ni action: ils se tiennent debout, souvent avec un objet, une fleur ou un animal dans la main. Ils occupent entièrement la dalle: ils sont hauts donc de 2,50m env. Plus rarement ils ont la hauteur de la moitié de la dalle. Il ne s’agit pas de personnages humains, à part le roi, mais de personnages n’existant pas vraiment à un siècle précis, vivant à tout moment sans époque et sans âge. Ils sont identifiables avec des esprits protecteurs par la présence de deux ou quatre ailes, parfois de la tiare divine à cornes, ou par leur composition hybride mi-humaine mi-animale, par leur inaction et leur collocation aux endroits dangereux du palais (portes, trône royal, passages). Nous arrivons à en identifier certains, il est vraisemblable que les Mésopotamiens les distinguaient tous de manière très claire.

Lionne blessée, palais d’Assurbanipal, Ninive

Trio d’êtres protecteurs (un homme avec une lance, un ugallu et un dieu qui lève un bras armé), Ninive, palais d’Assurbanipal

Assurbanipal et son épouse banquettent avec la tête de Teumman, roi élamite, pendue à l’arbre, palais D’Assurbanipal, Ninive

Étant les bas-reliefs présents sur une durée de deux siècles et demi, on remarque une progressive augmentation des reliefs historiques au détriment de ceux atemporels.  Le premier palais néo-assyrien, celui d’Assurnasirpal II (883-859 BCE), est presque tout décoré de reliefs atemporels, tandis que le dernier palais néo-assyrien, celui d’Assurbanipal (669-631 BCE) n’a que des reliefs historiques et quelques êtres apotropaïques aux entrées.Ces êtres sont beaucoup plus variés dans le palais d’Assurnasirpal II que dans les autres palais: génies ailés barbus à tête humaine, génies humains ailés avec seau et cône, génies barbus à tête humaine et à quatre ailes, génies humains et barbus portant une tiare décorée de rosettes et portant un seau ou une chèvre ou une branche de fleur, génies à tête d’aigle, taureaux ailés à tête humaine, lions ailés à tête humaine, lion centauri…
Dans le palais d’Assurbanipal, les génies connus sont très peu: un groupe de 3 (composé d’un homme avec une lance, un ugallu ((un être à tête de lion)) et un dieu qui lève un bras armé) et un lion centaure. Le paysage change aussi: pratiquement inexistant chez Assurnasirpal II, il devient essentiel sous les deux derniers rois dont le palais s’est conservé, Sennacherib et Assurbanipal.
Mais ce qui change de toute évidence c’est le message dont les reliefs sont les porteurs: le cycle de reliefs que chaque roi décide de faire sculpter n’a pas un but purement décoratif.
Dans le choix des motifs et dans la manière de les représenter, le roi fait passer son programme politique: justification des guerres, de l’extrême verticalité de la société³, de l’asservissement des autres régions, reconnaissance divine des actions ‘justes’ du roi⁴… Enfin, ces reliefs sont certes entendus pour la postérité et adressés aussi aux dieux, manière royale de s’assurer d’une immortalité dont rêvaient les rois néo-assyriens, surtout les Sargonides⁵ et dont ils doutaient de leur vivant.

Belle épiphanie! et Bonne Année!

1. avec lesquels Assurnasirpal II vient en contact durant ses expéditions militaires du IXe siècle av. J.-C. [↩]
2. La difficulté est la conservation de la peinture.Mais l’avancée des recherches et des méthodes d’exploration archéologique permettent aujourd’hui de reconstruire une histoire de la peinture dont les débuts remontent au IXe millénaire BCE, donc au moment de l’apparition des premiers centres habités et bien avant la naissance de l’agriculture. Pour les sculptures aux portes des temples et des palais, voir Battini 2009. Pour la peinture voir La peinture au Proche-Orient ancien : première partie et La peinture 2ème partie [↩]
3. tout est décidé par et fait pour le roi qui prend des caractères de plus en plus super-humains [↩]
4. justes car couronnées de succès qui prouve la bienveillance divine… [↩]
5. Sargon II et ses successeurs: dès 722 BCE jusqu’à la chute de l’empire, 612 BCE [↩]

Laura Battini

Chargée de Recherche au CNRS (UMR 7192 – PROCLAC, Paris), spécialiste d’architecture et d’iconologie syro-mésopotamienne

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